
16 jours d’activisme pour éliminer les violences faites aux femmes : les combats des féministes francophones de l’Afrique de l’Ouest
Melizah Memena
Les violences basées sur le genre (VBG) sont un problème récurrent et à la fois social et sociétal en Afrique de l’Ouest francophone, où le patriarcat persiste à dominer le quotidien des femmes.
Ces VBG sont les résultats des rapports de force inégaux entre hommes et femmes, conduisant à une logique de domination et à une discrimination exercée souvent, par les premiers sur les secondes. Elles constituent à ce titre, la manifestation la plus aiguë de l’inégalité homme-femme dans cette région du continent. Elles empêchent notamment le développement des femmes et portent atteintes à leurs libertés fondamentales. Les femmes et les filles sont principalement victimes des violences basées sur le genre en raison des normes sociales qui légitiment et soutiennent le pouvoir des hommes sur les femmes. Ainsi, les femmes, qui en sont victimes ne sont sont pas suffisamment protégées, et ne jouissent pas pleinement de leurs droits. Dans une région où les femmes représentent la moitié de la population, les VBG ralentissent le développement d’une proportion significative de leur population.
Les violences faites aux femmes se manifestent sous plusieurs formes. Les plus communes d’entre elles sont les violences psychologiques, les violences physiques, les violences verbales, les violences administratives, les violences économiques et patrimoniales. Quelle que soit leur forme ou leu étendue, ces violences causent toujours des dégâts émotionnels importants. Elles déstabilisent, humilient, et mettent en danger l’intégrité physique et/ou la santé mentale de la victime. De même, elles réduisent l’autonomie de la victime et limitent l’accès aux ressources économiques et au droit foncier.
Le mouvement féministe en Afrique de l’Ouest face aux VBG
Même si elle évolue à son rythme, la lutte du mouvement féministe ouest-africain contre les VBG, connait un développement tumultueux dans une région particulièrement conservatrice.
Au Togo, l’ONG Assistance Plus Togo a mené un plaidoyer inclusif et participatif pour l’établissement des jugements supplétifs tenant lieu d’acte de naissance à 600 femmes commerçantes transfrontalières du Grand-Lomé et de Cinkassé en impliquant le ministère de la justice, les maires les Directeurs Préfectoraux de l’Action Sociale de la Promotion de la femme et de l’Alphabétisation, les femmes et filles commerçantes transfrontalières. En effet, ces centaines de commerçantes transfrontalières qui n’ont pas des actes de naissances traversent les frontières Togo-Bénin et Togo-Ghana, et subissent fréquemment des abus physiquse, sexuels, ainsi que des extorsions des fonds de la part des agents des services frontaliers ; au niveau des points de passage, en raison de l’absence de documents de voyage et de commerce.
Au Burkina Faso, au mois d’aout 2021, les populations de Pissila, dans la province de Sanmatenga ont été chassées de leurs villages à la suite des attaques terroristes dans la région. Suite à cela, les femmes souffrent de harcèlement au moment de s’enregistrer pour bénéficier d’une aide humanitaire. Elles subissent un traumatisme psychologique et émotionnel découlant du conflit, et amplifié par le déplacement forcé et le degré extrême de privation qui s’ensuit. Dans ce contexte, les stratégies d’adaptation négatives (prostitution forcées ou enrôlement dans des groupes armés non-étatiques) sont une réalité dans la région. Une association féministe sur place a soutenu les structures existantes et les forums communautaires pour permettre aux femmes d’exprimer leurs préoccupations et d’apporter leur contribution à la paix au sein de leur communauté en créant dans chaque communauté de Pissila des groupes de discussion en gage d’espace d’expression et de partage. La création de ces espaces de partage et de discussion est un gage de liberté et de guérison.
Le Bénin quant à lui a organisé une marche silencieuse publique sur le thème “orangez le monde” durant cette campagne de 16 jours d’activisme pour éradiquer les violences faites aux femmes. Au cours de cette campagne menée par le Centre d’Échanges des Femmes, l’organisation a réalisé et partagé massivement de clips vidéo de militantes féministes parlant des 16 jours d’activisme pour prévenir et éliminer les violences basées sur le genre. Cette campagne visait à faire comprendre au public, en particulier aux femmes, l’impact de la VBG sur l’économie et la vie des femmes en général et à sensibiliser les autorités à différents niveaux pour qu’elles se joignent à la lutte contre la VBG.
Le Sénégal de son côté, à travers une coalition des femmes dirigée par l’association Gënji hiphop, a plaidé pour une révision du code de la famille concernant particulièrement les questions liées à l’autorité parentale et à la recherche de paternité pour les femmes et les filles victimes de viol. Les membres de cette coalition ont également plaidé pour la mise à disposition effective de centres holistiques de prise en charge des violences sexuelles faites aux femmes et aux filles au Sénégal. Elles ont également mis en avant l’artivisme en projetant des films, en réalisant des activités culturelles et éducatives sur les violences basées sur le genre dans les banlieues des régions de Dakar et Saint Louis.
Dans la même visée, l’association Action Jeunes et Femmes pour le Développement Durable au Mali, a relancé durant les 16 jours d’activisme le projet de loi sur les VBG pour promouvoir la parité dans l’accès aux fonctions nominatives et électives. Ce projet de loi vise à prendre en compte les aspirations des associations de femmes et des ONG qui mènent le combat pour la parité hommes-femmes dans l’accès aux emplois publics et aux fonctions électives. C’est une occasion de s’engager et d’impliquer les décideurs à tous les niveaux pour se mobiliser autour d’une seule cause : éliminer les violences sexistes et à pousser à la validation de ce projet de loi.
COVID-19 et les violences basées sur le genre : les féministes en première ligne
Il est indéniable que les VBG ont augmenté pendant la COVID-19. Les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest ne sont pas épargnés. Selon le Bureau régional du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, il y a eu une forte augmentation des cas de violence basée sur le genre pendant les périodes de confinement durant la COVID-19, dans les pays ayant appliqué des mesures restrictives pour freiner la propagation du virus. La perturbation des activités génératrices de revenus et des services essentiels, y compris la fermeture des écoles, a exposé les femmes et les filles à l’exploitation sexuelle et au viol.
En République de Guinée, les personnes handicapées ne jouissent pas pleinement de leurs droits. Ainsi, l’arrivée de la pandémie a détérioré leur situation. L’Organisation de Secours aux Handicapés de Guinée a réalisé une évaluation du niveau de violation des droits des femmes handicapées, et organisé une session de plaidoyer avec les acteurs clés et a également renforcé les compétences de leadership et de plaidoyer des femmes handicapées des organisations de/pour personnes handicapées.
Toujours dans le cadre de la lutte contre les VBG dans un contexte de COVID-19, l’Association des Informaticiens pour le Développement du Niger a documenté les cas de violences basées sur le genre pendant la période de COVID-19 dans les régions de Diffa et Nguigmis. L’association a également mis en place des comités de signalement des violences à l’égard des femmes dans chaque communauté, en sensibilisant la population par le biais de SMS et de la radio locale.
En bref, le mouvement féministe en Afrique de l’Ouest francophone prend de l’ampleur. Force est de constater qu’il y a une grande mobilisation des différents acteurs dans chaque coin de la sous-région. Les 16 jours d’activisme sont pour ces féministes une occasion de redoubler leur effort, d’unir leurs forces et de renforcer leur solidarité pour ainsi faire avancer les droits de la femme africaine.