Call for Proposals
Urgent Action Fund-Africa (UAF-Africa) is a feminist, pan African, rapid response Fund committed to transforming…
Melizah Memena
Le premier Forum mondial de l’eau en Afrique sub-saharienne s’est tenu à Dakar le 21 au 26 mars 2022. C’est l’un des plus grands évènements liés à l’eau dans le monde, où les dirigeants et décideurs se rencontrent pour célébrer entre autres la Journée Mondiale de l’eau et pour réfléchir sur les défis actuels liés à cette ressource. Pour cette 9ème édition, le thème choisi est « la sécurité de l’eau pour la paix et le développement ».
Un panel de discussion de haut niveau organisé par UAF-Africa
Urgent Action Fund – Africa (UAF-Africa) a matérialisé sa participation à ce rendez-vous international important en organisant un panel de discussion de haut niveau pour créer un espace de collaboration entre le comité international de l’eau et les principaux décideurs de toutes les régions du monde. Ce panel a eu pour but de définir les actions à long terme répondant aux défis mondiaux liés à l’eau. La sécurité de l’eau étant une composante fondamentale des droits de l’homme à l’eau et à l’assainissement, elle doit être protégée par des lois adoptées au niveau national pour renforcer la responsabilité, la transparence, la qualité de la mise en œuvre et l’équité, créant ainsi un environnement propice à la participation des parties prenantes à tous les niveaux, avec une capacité accrue à atteindre les objectifs définis.
Le panel de l’UAF-Africa a été animé par le Dr. Melania Chiponda, une écoféministe africaine qui travaille sur le climat, l’eau et la justice de genre dans le contexte des industries extractives pendant 29 ans. Elle était secondée par Agueh Dossi Sekonnou Gloria, fondatrice et la présidente du Réseau des Femmes Leaders pour le Développement (RFLD), Marie Jeanne Diouf, jeune écoféministe, membre de Young Men Christian Association Sénégal (YMCA) et ambassadrice S2C ; et le Dr. Priscilla M Achakpa, fondatrice/responsable mondiale du Women Environmental Programme (WEP), une organisation régionale axée sur les femmes.
La principale question abordée au cours des débats a été la manière dont les difficultés d’accès à l’eau, mais aussi les enjeux de pouvoir autour de cette ressource affectent les femmes au quotidien. Les panelistes ont également eu l’occasion de discuter sur la façon dont l’accès l’eau peut être un enjeu politique de premier plan, en particulier dans le contexte de systèmes politiques qui refusent de répondre aux besoins évidents et urgents de la population dans cette matière. Ces échanges ont été facilités par Mimi Ishan, la Chargée de Programme Justice environnementale et climatique à l’UAF-Africa.
Un écho au rapport sur les femmes et la justice de l’eau en Afrique
L’organisation de ce panel de haut niveau par UAF-Africa s’inscrit dans un plaidoyer engagé par l’organisation sur la justice de l’eau pour les femmes en Afrique. Les femmes sont les plus impactées par le manque d’accès à l’eau potable sur le continent. Elles subissent quotidiennement des injustices dans la distribution et l’accès à cette ressource, ainsi que les indignités d’une vie sans accès équitable à l’eau. Dans leur rôle sont traditionnellement lié à la collecte de l’eau pour assurer la survie de leurs familles, conduire leurs activités ou cultiver leurs champs, les femmes du continent ont une relation cruciale à l’eau. Celle-ci résulte à la fois de cette division sexuelle de tâche qui a perpétué les rôles et fonctions sociales “naturellement” attribués aux hommes et aux femmes, et des difficultés croissantes d’un accès équitable et garanti à cette ressource. Ainsi, malgré la raréfaction de l’eau potable, aucune action concrète et catalytique n’est entreprise par les pouvoirs publics et les décideurs pour améliorer l’accès à l’eau potable des femmes africaines. Au contraire, le prix de l’eau ne cesse d’augmenter, et l’eau devient un produit de luxe dont la distribution est de plus en plus organisée autour d’intérêts exclusivement économiques. Cette situation entraine une dégradation de la santé et une marginalisation accrue des femmes et des filles laissant profiter les couches de la population les plus riches et le secteur des entreprises qui font d’énorme intérêts dans le business de l’eau.
Le rapport Les femmes et l’eau en Afrique : Un aperçu des luttes pour la justice de l’eau, de l’UAF-Africa met ainsi, en exergue la perpétuation des politiques publiques néolibérales dans la gestion des ressources naturelles. Ces politiques défendent tant bien que mal la privatisation de l’eau dans les différents pays africains, ainsi que les anciennes puissances coloniales n’hésitent pas à utiliser le pouvoir de l’État pour promouvoir les intérêts des privatisateurs de l’eau basés dans ces pays.
Le rapport souligne également que les institutions intergouvernementales telles que l’ONU, qui est très influente à travers son action de conseil politique auprès de nombreux gouvernements en Afrique et ailleurs, sont fortement impliquées dans la problématique d’accès à l’eau par le biais des mécanismes de prestation de services améliorés. L’initiative Eau, Assainissement et Hygiène (WASH) de l’ONU, dans le cadre de ses Objectifs de Développement Durable (ODD), la propriété, le contrôle, la gestion et la distribution de l’eau, n’explique pas pourquoi certaines personnes ont un accès fiable et constant à de l’eau potable alors que d’autres ne l’ont pas.
La lutte féministe pour l’accès inclusif à l’eau potable
Les femmes font constamment face à des défis environnementaux et climatiques tels que l’accaparement des terres, refus d’accès aux moyens de subsistance, la dégradation de l’environnement et les industries extractives qui envahissent leur environnement. Et à cela s’ajoute le non-accès à l’eau potable.
A plusieurs endroits du continent Africain, les luttes pour l’eau se retrouvent au cœur des conflits civils et des tensions domestiques. Ces problèmes liés à l’eau auxquels les femmes sont confrontées à travers le monde sont exacerbés par les politiques néolibérales de l’eau, tandis que les féministes radicales et les mouvements sociaux continuent de les contester.
“Les femmes jouent un rôle capital dans la gestion et la préservation de l’environnement, et à ce titre au moins, elles doivent être consultées, écoutées et impliquées d’une manière bien plus conséquente qu’elles ne le sont aujourd’hui” a ainsi précisé Agueh Dossi Sekonnou Gloria lors du 9ème Forum de l’eau. Cette recommandation est d’autant plus pertinente et sérieuse que, ainsi que l’a rappelé Macky Sall, lors de son discours d’ouverture, « les femmes et les filles passent plus de 200 millions d’heures par jour, à chercher de l’eau ». Une situation qui, si elle n’est pas prise à bras le corps par les décideurs et politiques publiques gouvernementales, risques fort d’aller « de mal en pis », s’est inquiété le président sénégalais.
Les propos du chef de l’État du Sénégal font à ce titre presque prémonitoire. Le pays devient de plus en plus un point de mire dans le mouvement contre la privatisation de l’eau en Afrique. En effet la multinationale Suez a remporté un contrat de quinze ans pour la plupart des services d’eau urbains et semi-urbains du pays. Ce contrat est incroyablement lucratif pour Suez puisqu’il représente “1,9 milliard d’euros au cours des 15 prochaines années” et qu’il s’agit de l’un des plus importants contrats de privatisation de l’eau au monde. Pourtant, la réalité pour les Sénégalais qui vivent sous cette privatisation est plus sombre. La société civile locale a fait état de pénuries d’eau et de factures d’eau élevées sous Sen’Eau. Les travailleurs et les représentants syndicaux ont également fait état de mauvaises conditions de travail après le transfert du contrôle à Suez. Les féministes activistes sénégalaises, telle que Coumba Toure, fortifient également ce mouvement au cours du FAME 2022 pour améliorer l’accès à l’eau des femmes la rendant un bien commun et service public. « Nous exigeons un système démocratisé de contrôle et d’accès à l’eau motivé par le service public plutôt que par le profit », a ainsi résumé l’écoféministe sénégalaise Marie Jeanne Diouf lors de sa prise de parole pour atténuer les menaces de privatisation sur tout le continent.
Consolider la campagne pour la justice de l’eau en Afrique
Le rapport sur l’eau de l’UAF-Africa, Les femmes et l’eau en Afrique : Un aperçu des luttes pour la justice de l’eau, cite quelques recommandations pour la justice de l’eau pour les femmes africaines. L’organisation appelle entre autres à renforcer les féministes sur la ligne de front qui s’organisent autour de l’eau et renforcer la solidarité entre les gens de différentes régions.
Par ailleurs ces recommandations notent également l’importance de perturber le flot des politiques néolibérales de l’eau en Afrique. En d’autres termes, de soutenir les campagnes pour la justice de l’eau qui visent le renforcement de l’organisation de base et la construction de mouvements féministes, et de catalyser des conversations et des débats critiques qui aident à façonner les agendas grâce à des réunions stratégiques pour construire une perspective et une pratique féministes dans la lutte pour le contrôle communautaire démocratique de l’eau et l’accès à celle-ci. Il est également recommandé aux bailleurs de fonds de soutenir et renforcer l’auto-organisation des bénéficiaires de fonds et établir des liens avec davantage de groupes de base et de femmes sur le continent pour créer une convergence des luttes et renforcer la solidarité.